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FICTIONS LGBT
LIUBEN de Venci Kostov : un drame gay déchirant
By Gaspard Granaud | 17 novembre 2023
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Premier long-mĂ©trage en solo du rĂ©alisateur espagnol Venci Kostov, LIUBEN suit le retour dans son village natal bulgare dâun jeune Ă©tudiant et son coup de coeur pour un gitan orphelin un peu plus jeune que lui. Attention, drame dĂ©chirant.
Victor (Dimitar Nikolov), la vingtaine, est de retour dans le village bulgare de son enfance pour les funérailles de son grand-pÚre. Un retour aux sources pour ce garçon désormais installé à Madrid avec son petit-ami « daddy » qui a peu été en contact avec son pÚre depuis la séparation de celui-ci avec sa mÚre. En effet, un jour la maman de Victor a quitté celui-ci et a emmené avec elle son fils en ville.
PlutĂŽt que de juste passer un ou deux jours sur place, Victor dĂ©cide de prolonger son sĂ©jour pour essayer de se reconnecter avec son pĂšre. Un homme trĂšs diffĂ©rent de lui, dont on devine quâil a pu ĂȘtre assez rustre par le passĂ© mais qui a lâair de vouloir faire des efforts pour se rapprocher de son fils. Il lui a notamment amĂ©nagĂ© tout un espace pour lui dans sa maison quâil a retapĂ©. Sâil est au courant que Victor est gay, il nâaborde pas franchement le sujet avec lui, qui semble le mettre mal Ă lâaise.
Un jour, sur la route, Victor et son pĂšre se font alpaguer par un jeune gitan, Liuben (Bodijar Iankov Asenov) qui souhaite leur vendre des fruits. Assez grande gueule, un peu sans gĂȘne, trĂšs spontanĂ©, le garçon amuse Victor. Les jours qui suivent, ils vont ĂȘtre amenĂ©s Ă se recroiser. Victor dĂ©couvre la vie difficile de ce garçon qui approche de ses 18 ans et qui a grandi en Ă©tant orphelin. Sans le sou, il vit au jour le jour, dort dans un orphelinat, et essaie par tous les moyens de trouver de lâargent pour pouvoir entretenir sa petite amie qui est enceinte de lui et qui menace dâaller en GrĂšce pour vendre son enfant sâil ne trouve pas rapidement une solution pour leur offrir une belle vie. Victor rĂ©alise petit Ă petit Ă quel point Liuben vit dans la misĂšre et aussi Ă quel point les gens de son village peuvent ĂȘtre odieux avec les gitans du coin quâils traitent avec un mĂ©pris, un racisme, une violence mĂȘme pas dissimulĂ©s.
Bien quâil sait que Liuben est en couple avec une fille, et bien que lui-mĂȘme soit dĂ©jĂ en couple, Victor sent que quelque chose se passe. Il y a dĂšs les premiers Ă©changes une forme de tension, un jeu de sĂ©duction qui ne dit pas son nom entre les deux garçons. Alors quâils se rapprochent petit Ă petit, lâĂ©tau se resserre autour dâeux. Dâun cĂŽtĂ©, le pĂšre de Victor et ceux qui lâentourent voient dâun mauvais oeil cette « mauvaise frĂ©quentation » Ă leurs yeux. De lâautre, le sort semble sâacharner sur le pauvre Liuben . MalgrĂ© la violence qui les entourent, Victor et Liuben vont malgrĂ© tout tisser un lien unique et inoubliable.
Câest un film qui Ă©meut et marque par petites touches. Le premier sujet est celui du transfuge de classe. Suivant sa mĂšre et la nouvelle vie voulue par celle-ci, Victor est devenu un citadin bien installĂ© Ă Madrid. On devine que sa vie lĂ -bas est plutĂŽt bien rangĂ©e. Il nâa pas de soucis dâargent, vit avec un homme plus ĂągĂ© qui prend soin de lui. Mais cela nâa pas lâair de vraiment lui convenir. Il y a chez lui une forme de mal-ĂȘtre qui va de pair avec le besoin soudain de retrouver sa Terre natale, son pĂšre, cet endroit oĂč il nâa pas toujours Ă©tĂ© heureux et pu ĂȘtre lui-mĂȘme mais qui le ramĂšne malgrĂ© tout Ă lâenfance. Devenant un jeune adulte, Victor se cherche, sâinterroge. Il ne se sent pas tout Ă fait heureux avec son compagnon, il avouera plus tard le tromper occasionnellement avec des inconnus.
Sa rencontre avec Liuben va le bouleverser. Brut de dĂ©coffrage, Liuben est aurĂ©olĂ© dâune forme de lumiĂšre. Il a les yeux qui brillent malgrĂ© toutes les Ă©preuves atroces que la vie a pu lui infliger. Son coeur est pur, il a des rĂȘves simples : vivre simplement une vie dĂ©cente sans ĂȘtre dans le besoin, pouvoir avoir une famille, travailler. Son plus grand rĂȘve serait dâouvrir un salon de coiffure en Allemagne. Mais la rĂ©alitĂ© le rattrape constamment : personne ne veut lui donner du travail, on lâagresse en raison de ses origines, tout le monde le traite comme un moins que rien. Le film montre bien comment la violence de la sociĂ©tĂ© peut briser un ĂȘtre et le pousser Ă prendre de mauvaises dĂ©cisions par colĂšre et/ou dĂ©sespoir.
Aux yeux de Liuben, Victor a tout. Et celui-ci est confrontĂ© Ă son statut privilĂ©giĂ© alors quâil passe de plus en plus de temps avec lui. Gentil et secrĂštement Ă©pris, Victor aimerait aider celui qui devient son nouvel ami. Il se prend en pleine face la duretĂ© du quotidien de ceux qui nâont pas eu la chance de naitre au bon endroit et qui se retrouvent bloquĂ©s et marginalisĂ©s.
La relation entre ces deux garçons contraires est trĂšs intĂ©ressante, parfois teintĂ©e dâambivalence en raison de leurs diffĂ©rences de classes. Victor se sent coupable de ne pas ĂȘtre heureux alors quâil a tout ce dont Liuben pourrait rĂȘver dâavoir. Quand il est face Ă lui il ne sait pas vraiment sur quel pied danser et se demande si ce quâil ressent pour lui est totalement Ă sens unique. Liuben peut lui donner lâimpression de le sĂ©duire, de lâaguicher, mais le fait-il vraiment ou est-il simplement plus naturel, extraverti, Ă lâaise avec son corps ?
Alors que la vie de Liuben part de plus en plus Ă la dĂ©rive, Victor va devenir son seul vĂ©ritable ami, le seul qui sâintĂ©resse sincĂšrement Ă lui et qui lui donne de lâaffection. La relation qui se matĂ©rialise entre eux est belle mais fait tout de mĂȘme lâeffet de dĂ©s pipĂ©s. Car sans le vouloir, par sa situation Victor a un ascendant sur Liuben (il lui prĂȘte de lâargent, lui fait des cadeaux, lui apporte la lueur dâespoir de peut-ĂȘtre pouvoir partir de ce village un jour). Liuben est-il vraiment Ă©pris de lui ? Le dĂ©sire-t-il vraiment ? Les choses sont trĂšs complexes, floues, ambivalentes. Les proches de Liuben et les gens du village dĂ©crĂštent rapidement que celui-ci est avec Victor pour son argent (et lors dâune scĂšne suscitant un rĂ©el malaise on voit dâautres garçons gitans qui disent Ă Victor que eux aussi peuvent lui donner « ce quâil cherche »).
Les sentiments au sein de ce long-mĂ©trage sont riches en nuances et en questionnements, Ă lâinstar de tout ce que peut ressentir le personnage de Victor qui est clairement dĂ©passĂ©. Il est attirĂ© par Liuben, il a de lâaffection pour lui, il veut le protĂ©ger, il est touchĂ© en plein coeur par son histoire et sa sensibilitĂ© et en mĂȘme temps il a conscience du dĂ©sespoir de celui-ci qui fait quâils ne sont pas vraiment sur un pied dâĂ©galitĂ©. Du cĂŽtĂ© de Liuben on a lâimpression quâil aime Victor avec une certaine puretĂ©. Il nâest pas gay mais il nâest jamais tombĂ© sur quelquâun qui soit aussi gentil, bon, attentionnĂ© avec lui et cela le touche et il a envie de se connecter Ă lui.
La derniĂšre partie du film est hautement dĂ©vastatrice, trĂšs sombre, montrant les pires facettes de ce village Ă tous les niveaux. Que ce soit les gitans qui se dĂ©chirent entre eux, les habitants racistes ou lâhorrible Police locale totalement corrompue : rien ne va ! Le final arrache le coeur.