L’écrivain Marc Dugain : “Et si c’était Emmanuel Macron qui partait ?”

SOCIÉTÉ L’écrivain Marc Dugain : “Et si c’était Emmanuel Macron qui partait ?” L’auteur de “La Chambre des officiers” et de “Tsunami” dépeint dans un texte pour “Télérama” un président obtus et cynique, qui pourrait bien finir par être pris à son propre jeu. Par Réservé aux abonnés Publié le 10 juin 2024 à 17h46 Mis à jour le 10 juin 2024 à 17h56 Marc Dugain a écrit, avec L’Emprise (2014), Quinquennat (2015) et Ultime Partie (2016), une trilogie romanesque captivante, un tableau réaliste, informé et lucide du pouvoir politique tel qu’il s’incarne et s’exerce aujour­d’hui dans un pays tel que la France. L’an dernier, avec (2023), c’est un journal présidentiel apocryphe que l’écrivain nous offrait à lire, sorte d’archive fictionnelle pour les historiens du futur. Des romans sous-tendus par une réflexion aiguë, informée et cinglante sur l’état de la démocratie, qui nous ont naturellement incités à solliciter son opinion sur la situation politique ouverte hier soir par la décision de dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron. – Nathalie Crom « Il est devenu président sur un dossier scolaire. Curieusement, sa jeunesse a pesé en sa faveur quand sa méconnaissance des Français ne passait pas encore pour du mépris et que son inexpérience du terrain lui créait une sorte de halo de virginité. Son 18 Brumaire, c’est quand il sent que François Hollande ne pourra pas se représenter, ce même François Hollande qui avait battu le héraut d’une droite finissante dont chaque pas créait une nouvelle affaire. En finir avec le clivage droite-gauche, en voilà un programme. Le marquis de la mondialisation, moderniste exalté, souhaite remiser les vieux schémas et nombreux sont ceux qui veulent le croire avec lui. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est ce que m’en dit alors un inspecteur des finances qui l’a côtoyé : « Pour le moment, on ne voit que son charme. Bientôt on découvrira la haute opinion de lui-même, le cynisme, le manque de conviction et d’empathie. » Une relation commune me propose de le rencontrer pendant sa première campagne, je décline le suspectant d’être essentiellement un ultralibéral, quelqu’un qui rêve d’une croissance infinie, de l’excellence d’une minorité triomphante qui endort une majorité de médiocres à ses yeux. Le savoir-faire étant l’exception en politique, on a connu le faire savoir, mais lui invente le faire semblant. La gauche et la droite à terre, il est le complément à zéro du reste de l’échiquier qui ne compte plus que des extrêmes, essentiellement de droite. Donc lui ou le chaos. À lire aussi : Une fois, deux fois. La seconde, il est définitivement le candidat en creux. On s’imagine que cette majorité qu’il n’a pas à l’Assemblée nationale, il va la tricoter par le dialogue et le compromis. Le compromis c’est pourtant sa spécialité, non ? Il l’a montré sur l’écologie, quand les agriculteurs emmenés par des syndicalistes à la solde des industries chimiques menacent de bloquer le pays pour retrouver le droit d’épandre des substances criminelles. « We’ll make the planet great again » : c’était lui, à ses débuts, quand ivre de ses propres propos, on l’imaginait prendre, sur la question du climat, un leadership mondial. Cet irrésistible énarque semble n’avoir lu qu’un article de la Constitution, le 49-3 qui fait fi du parlement. D’une disposition exceptionnelle, il fait une pratique, celle d’un homme obtus, isolé dans ses choix, qui essaye essentiellement de sauver le coût de la dette qui flambe, dette qui gonfle à la mesure de son entêtement à ne pas vouloir aller chercher l’argent là où il est, là où les profits ont explosé, à la faveur de la guerre en Ukraine en particulier. Cette guerre qui a fait beaucoup pour sa réélection, il la vit en bretteur, et s’il n’a pas tort sur le fond, la réalité le rattrape, on peut énerver les Russes mais jusqu’à un certain point parce que ces derniers nous fournissent une bonne part du combustible de nos centrales nucléaires. C’est probablement sur la question de l’Europe qu’il est le moins décevant, mais malheureusement pour lui, les électeurs ont décidé de sanctionner celui qu’ils avaient surnommé le « méprisant de la République ». Du coup il se consacre enfin à un nouvel article de la Constitution, le 12ᵉ, et dissout l’Assemblée en réussissant le prodige de permettre à cette extrême droite qu’il a fait prospérer d’envisager de gouverner pour de bon. Son calcul ? Ils gouverneront un an à dix-huit mois, montreront leur vrai visage, celui d’une compétence douteuse, creuseront encore le déficit, et quand il sera temps, le président usera une nouvelle fois de son pouvoir de dissolution. Il espère qu’alors il pourra reconstituer une majorité qui lui sera favorable pour finir son mandat en beauté et ne laisser que des bons souvenirs, avant de revenir peut-être cinq ans plus tard, pour de nouvelles aventures. À lire aussi : Cette dissolution est probablement l’acte de mépris le plus significatif à l’égard des Français de deux mandatures qui n’en ont pas manqué. Il y a un petit côté : « Vous avez voulu le Rassemblement national, ces demeurés qui voient des étrangers partout, vous avez voulu Bardella qui a 28 ans, aussi peu d’expérience de la vie que de diplômes, eh bien, je vais vous en donner, roulez-vous dedans et je vous attends dans un ou deux ans, m’implorant à genoux de vous honorer à nouveau de mon intelligence hors norme. » Sauf que l’extrême droite peut réussir là où il a échoué, en calmant des peurs irrationnelles d’une main, largement manipulées de l’autre, et en donnant l’illusion de la considération à des gens qui en ont été frustrés depuis trop longtemps. Emmanuel Macron apparaîtrait alors comme le président qui a inauguré le pont entre le gouvernement de Vichy et ses fiers descendants. Et si c’était lui ? Ça me rappelle le titre d’un roman sérieux ou de gare, je ne m’en souviens plus exactement. Je veux dire : si c’était lui qui partait ? Son empressement à fixer une date de scrutin en début de vacances, juste avant les jeux Olympiques, montre clairement qu’il ne souhaite pas que les démocrates aient un vrai délai pour s’organiser. Il est temps de modifier la Constitution, qu’on en finisse avec ce bazar qui est redevenu une IVᵉ République à monarchie variable. Sommes-nous si immatures que nous ne méritons pas un vrai régime parlementaire ? Tant que l’ambition et l’orgueil individuels prévaudront sur la volonté du bien commun, on aura ce sentiment de démocratie finissante, incapable de rendre fiers ses électeurs. » Derniers livres parus : Tsunami (éd. Albin Michel, 2023) et L’Orgie capitaliste, entretiens avec Adrien Rivierre (éd. Allary, 2024).

Laisser un commentaire